STÉPHANE MALLARMÉ

[Plusieurs sonnets, IV]




I1
2
3
4

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

II5
6
7
8

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore[,]
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore).

III9
10
11

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

IV12
13
14

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.

(Vers et prose : morceaux choisis. - Paris : Perrin, 1893;  Gallica)
Stéphane Mallarmé - mallarme.de
Tübinger Lektürekurs




     Enfin, comme il se pourrait toutefois que, rythmé par le hamac [Hängematte; ...] je fisse un sonnet, et que je n'ai que trois rimes en ix, concertez-vous pour m'envoyer le sens réel du mot ptyx [pli, en grec] , ou m'assurer qu'il n'existe dans aucune langue, ce que je préférerais de beaucoup afin de me donner le charme de le créer par la magie de la rime. [...] je vous en supplie avec l'impatience «d'un poëte en quête d'une rime».
(À Eugène Lefébure, 3 mai 1868. - In : Œuvres complètes ; éd. par Bertrand Marchal ; t. I - [Paris] : Gallimard, 2003 ; p. 728s)

     J'extrais ce sonnet [...] d'une étude projetée sur la Parole : il est inverse, je veux dire que le sens, s'il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poësie qu'il renferme, ce me semble), est évoqué par un mirage interne des mots mêmes. En se laissant aller à le murmurer plusieurs fois[,] on éprouve une sensation assez cabalistique. [...]
      - J'ai pris ce sujet d'un sonnet nul et se réfléchissant de toutes les façons, parce que mon œuvre est si bien préparé et hiérarchisé, représentant comme il peut l'Univers, que je n'aurais su, sans endommager quelqu'une de mes impressions étagées, rien en enlever - et aucun sonnet ne s'y rencontre.
(À Henri Cazalis, 18 juillet 1868. - In : Œuvres complètes ; éd. par Bertrand Marchal ; t. I - [Paris] : Gallimard, 2003 ; p. 731s)